Explication de texte 1

 

 

 

TEXTE : Quels effets les athéniens (...) contre mes accusateurs récents  

 

Edition GF : p85 /86

  

Introduction

 Situation de l’extrait :

 Cet extrait de l’apologie de Socrate constitue le texte d’ouverture de l’apologie, il nous fait entendre   les premières paroles adressées par Socrate aux juges ; il s’agit de l’introduction dans laquelle Socrate indique comment il compte se défendre :  en parlant simplement et en disant la vérité, il indique aussi le plan de son discours : répondre aux accusations anciennes puis récentes .

  

Thème de l’extrait :

  Cette introduction met en exergue le thème du langage et plus précisément la puissance de la rhétorique capable de séduire les esprits et de rendre vraisemblable les mensonges les plus grossiers surtout lorsqu’ils sont corroborés par le pouvoir aveugle des rumeurs, des ouïes dires et des préjugés.

 

Thèse

 La thèse de Socrate dans ce passage consiste à soutenir qu’un bon orateur est celui qui dit la vérité  et il affirme ainsi que  la véracité des propos  compte infiniment plus que la beauté , le style du discours ou encore l’éloquence de celui qui parle.

 

Il est alors possible de retrouver à en filigrane  une opposition entre le discours des sophistes (dont le but est de persuader) et celui du philosophe qui est tourné vers la vérité. La recherche de la vérité passe en effet par le dialogue pour Socrate, celui-ci doit permettre à l’interlocuteur de prendre conscience de ses propres idées (c’est ce  que Socrate exprime avec l’image de  «  l’accouchement » des idées que l’on retrouve dans le terme maïeutique ).

 

Problématiques/questionnements :

  Suffit- il de dire la vérité pour être crédible ?  

  •  

  • Pourquoi Socrate n’utilise-t-il pas les mêmes armes que ses accusateurs pour se défendre et ainsi tenter de gagner son procès ?

  

A partir de ce texte nous pouvons dégager trois axes importants :

 

  1. Le portrait que les accusateurs ont établi de Socrate

  2. Le portrait des accusateurs par Socrate

  3. L’autoportrait de Socrate

 Le portrait que les accusateurs ont établi de Socrate

  

Le discours d’accusation prononcé par Mélétos vient de s’achever, c’est au tour de Socrate de prendre la parole pour se défendre conformément à la législation athénienne de l’époque. Les accusateurs viennent de dresser un portrait de lui qui l’accable et le dépeint comme une mauvaise personne.

 Socrate constate immédiatement à quel point le discours de l’accusation a été éloquent et persuasif.  Il souligne ce point en évoquant les effets du discours sur l’auditoire composé d’une assemblée d’environ 500 juges choisis parmi les citoyens.  (voir les expressions : « bien parler », « propos persuasifs »).

 Le portrait que les accusateurs ont dressé de Socrate est complètement erroné mais pourrait pourtant sembler véridique auprès des juges comme le montre la question initiale posée par Socrate : « Quels effets ont produit sur vous mes accusateurs, je l’ignore?».

 

Socrate lui -même a été affecté par ces paroles, il en viendrait presque à oublier « qui il est lui-même », et son identité s’en trouve quasiment altérée.  En effet l’identité personnelle dépend en partie de la perception d’autrui et de sa manière de la caractériser au point où certaines personnes laissent parfois les autres décider à leur place de qui ils sont véritablement. 

 Mais Socrate lui ne se laisse pas faire : il rétorque et veut rétablir la vérité sur sa personne et son action.

 

Mais quel portrait les accusateurs ont-ils dressé ?

 

Socrate est d’autant plus surpris que ces calomniateurs ont averti l’auditoire qu’il était habile dans l’art de la parole et qu’il fallait donc se méfier de ses discours. En d’autres termes, ils l’on accusé d’être un « beau parleur » pour affaiblir le discours qu’il pourrait tenir pour se défendre, ce qui devait être un procédé habituel dans le contexte judiciaire de l’époque.

 

 On sait également que l’accusation reproche à Socrate d’être une mauvaise personne qui exerce une influence néfaste sur l’esprit et les mœurs de ses concitoyens en particulier les jeunes. L’acte d’accusation lui reproche de « ne pas croire aux dieux de la Cité et de corrompre la jeunesse »  On le dépeint comme un être malfaisant, un corrupteur (qui corrompt moralement , il n’y a pas ici l’aspect financier comme dans le sens actuel du terme – un juge corrompu)    et un impie (Qui marque le mépris de la religion, des croyances religieuses.)

 

 

 

Ce premier moment du texte souligne la force de la rhétorique, le pouvoir de la parole en particulier dans le contexte d’une démocratie directe. Pour convaincre ou persuader, le rôle de la parole est essentiel.  Dans le tribunal, les juges sont des citoyens ordinaires qu’il faut rallier à sa cause.  Les joutes verbales transforment alors le tribunal en une sorte d’arène ou les protagonistes s’affrontent avec leurs discours qui prennent alors une forme agonistique.  Pourtant Socrate refuse d’entrer dans cette joute verbale.

 

                                                  

                                                  Le portrait de Socrate selon les accusateurs

 

 

Qualités/défaut :

 

 

Références :

            Habille orateur

 

D’après le texte :

 

« tant était persuasifs les propos qu’ils tenaient »

 

           Corrupteur

 

D’après l’acte d’accusation 

            Impie

 

 

D’après l’acte d’accusation

 

 

 

 

b) Le portrait des accusateurs par Socrate

 

 

 

Socrate qualifie à plusieurs reprises les discours des accusateurs comme mensongers, ceux qui ont porté plainte contre lui sont de véritables sycophantes (calomniateurs) qui cherchent des prétextes pour lui nuire. Les termes « mensonges », « mensongers » reviennent à trois reprises dans les propos de Socrate.

 

Il dépeint à son tour ses accusateurs, ce sont des jeunes (comparativement à lui qui a 70ans) qui maitrise l’art de la parole, ils sont effrontés et sans scrupules. (Ils ne rougissent de rien, n’ont aucune honte à mentir publiquement).

 

 

 

                                                    Le portrait des accusateurs par Socrate

 

 

Qualités/défaut :

 

 

Références :

 

Menteurs

 

 

Citations du texte :  

-          Ils n’ont pratiquement rien dit de vrai

-          Multitudes de fausseté

 

 

 

Sans vergogne, ils n’ont aucune honte à mentir et calomnier

 

 

Citations du texte : 

-          Ces gens sont incapables de rougir de rien

(en grec c’est le même mot pour « rougir » et avoir honte)

 

 

Beaux parleurs

 

 

Citations du texte : 

 

Discours élégamment tourné comme les leurs

 

 

 

Jeunes

 

 

 D’après le texte

Des propos modelés comme un jeune homme

 

 

 

 

C ) L’autoportrait de Socrate

 

 

 

Socrate soutient qu’il va dire la vérité et qu’il ne cherchera pas à enjoliver d’aucune façon ses propos par des beaux discours.   Il se présente donc comme une personne sincère qui a un franc parler.

 

On se rend bien compte ici que Socrate refuse dès le début du procès de de se plier en quelque sorte aux conventions, aux règles du jeu en vigueur dans le procès.

 

 Il ne veut pas entrer en compétition avec les brillants orateurs. Il refuse de faire des beaux discours et d’entrer sur le terrain de la rhétorique.   Pourquoi cela ? Est par faiblesse ou par conviction ?

 

  • Est-ce que le combat est perdu d’avance parce qu’il ne maitrise pas la rhétorique car comme il le reconnaît lui-même il n’est pas un habile orateur.

  •  Ou bien est-ce parce qu’il ne veut pas s’abaisser au même   niveau que ses accusateurs ?    La rhétorique n’est elle pas une façon de tromper l’auditoire et dans ce cas serait comparable à un mensonge moralement condamnable ?  Cette façon de faire n’est pas aussi une sorte de perversion du langage qui devient une arme alors que sa finalité est celle de l’écoute, du dialogue et du partage ?

 

 

 

 

 

                                                    L’autoportrait de Socrate

 

 

Qualités/défaut :

 

 

Références :

 

Sincère/ franc

 

 

Citations du texte : 

-           De ma bouche, c’est la vérité, toute la vérité que vous entendrez sortir.

 

 

 

Pas habile orateur

 

Citations du texte : 

 Ce ne sont pas des discours élégamment tourné comme les leurs , ni des discours qu’embellissent des expressions et des termes choisis.

 

 

Homme mur, âgé donc synonyme d’expérience ou de sagesse

 

 

Il serait malséant qu’un homme de mon âge montât à la tribune pour vous adresser des propos qu’il aurait modelés comme l’aurait fait un jeune homme.

 

 

 

 

 

 

Socrate  déclare qu’il va parler dans ce tribunal avec les premiers mots venus, comme s’il se trouver sur la place du marché ce qui pourrait être perçu comme un manque de respect, une « insulte » pour les juges et la solennité du lieu dans lequel il se trouve.  Rappelons que le procès se tient dans un lieu important pour la démocratie athénienne : la Pnyx, lieu dans lequel les citoyens se réunissent pour voter les lois, désigner les magistrats et siéger à des procès dont les motifs sont souvent d’ordre religieux ou politique.

 

 

 

 Socrate réclame alors l’indulgence, la clémence des juges ; c’est la 1ère fois qu’il comparait devant un tribunal et il se dit complètement étranger à la manière de parler qu’on utilise dans les tribunaux.  Cette affirmation pourrait surprendre car on sait que Socrate est né à Athènes,  ville qu’il n’a jamais quitté et même s’il fréquence surtout l’agora (la place publique à la fois marché et lieu de discussion), il est surprenant qu’il  ignore à ce point ce qui se passe dans les hauteurs d’Athènes, sur la colline du Pnyx.

 

 S’il se dit étranger, c’est surtout en raison d’un décalage : Socrate est un citoyen athénien mais qui a toujours cherché à penser par lui-même et qui prône la réflexion critique. C’est pourquoi il reste dans une certaine mesure à l’écart des autres personnes qui se laissent complètement endoctriner par la propagande des discours politique. Il peut donc se sentir étranger à la manière de parler et de penser qui domine la société dans laquelle il vit.  C’est sentiment d’étrangeté que l’on peut tous ressentir parfois quand tout d’un coup nos évidences disparaissent et que le doute surgit. 

 

Socrate poursuit son allocution en indiquant les devoirs de l’accusé et des juges.

 

Pour l’accusé, il s’agit de dire la vérité sans chercher à embellir ou transformer la réalité. La vérité apparaît comme fondamentale dans l’établissement de la justice. C’est pourquoi la qualité de l’orateur dans ce contexte, c’est de dire la vérité.

 

Pour les juges, ils ne doivent pas prendre en compte les artifices du discours, ils doivent avoir pour seul pont de mire la justice. La justice qui consiste selon la définition qu’en donne consiste à « rendre à chacun ce qui lui est dû » c'est-à-dire ce qu’il mérite. La justice n’est donc pas la stricte application de la loi (légalité) mais savoir adapter la loi aux cas particuliers en fonction des circonstances.

 

 

 

Il termine en indiquant le plan de sa défense qui est chronologique, répondre d’abord aux accusations anciennes et ensuite aux accusations récentes, celles de Mélotos et Anytos. En effet ce sont les accusations les plus anciennes qui sont les plus difficiles à combattre comme nous allons le voir dans la prochaine explication.

 

 

 

Conclusion : langage et vérité

  

Le langage peut être associé ou opposé à la vérité. Le mensonge apparaît dès le départ comme une possibilité du langage humain, les accusateurs n’hésitent pas à l’utiliser Pourtant le langage est aussi l’élément dans lequel la vérité peut se manifester, c’est aussi un outil au service de la vérité quand il est bien utilisé. C’est la conviction de Socrate quand il s’adresse aux choses sans quoi il garderait le silence.

  

Au travers de Socrate et de ses accusateurs, deux conceptions du langage se font face : 

 Les sophiste ( et de ceux qui utilisent leurs procédés) considèrent  que toutes les avis sont relatifs et qu’il n’existe donc pas de vérité absolue.  La vérité, c’est d’abord ce que croit une personne.  Ainsi le mensonge de l’un est la vérité d’un autre. Dans ce cas, la parole qui permet de créer ou de changer l’opinion d’une personne a en quelque sorte le pouvoir de créer la vérité.  

 

En revanche, pour Socrate et à sa suite Platon et Aristote, il existe une vérité reste indépendante du langage, ce dernier   n’a pas le pouvoir de « créer » la vérité de toute pièce mais seulement de manifester la vérité.  En d’autres termes, la parole doit se référer à une réalité extérieure au discours et c’est seulement lorsque ce que l’on dit coïncide ou s’accorde bien avec cette réalité que l’on peut alors dire que la parole est vraie. Dans le cas contraire, il s’agit d’une erreur ou d’un mensonge.   C’est cette conception en quelque sorte « réaliste » de la vérité qui est présente dans la pensée de Socrate. Il ne faut pas juger sur ce que l’on croit ou en fonction de sa certitude mais en se fondant sur la réalité ce qui suppose souvent que l’on dépasse les certitudes immédiates.