Les philosophes qui ont examiné les fondements de la société ont tous senti la nécessité de remonter jusqu'à l'état de nature, mais aucun d'eux n'y est arrivé. Les uns n'ont point balancé à supposer à l'homme dans cet état la notion du juste et de l'injuste, sans se soucier de montrer qu'il dût avoir cette notion, ni même qu'elle lui fût utile. D'autres ont parlé du droit naturel que chacun a de conserver ce qui lui appartient, sans expliquer ce qu'ils entendaient par appartenir ; d'autres donnant d'abord au plus fort l'autorité sur le plus faible, ont aussitôt fait naître le gouvernement, sans songer au temps qui dut s'écouler avant que le sens des mots d'autorité et de gouver-nement pût exister parmi les hommes. Enfin tous, parlant sans cesse de besoin, d'avidité, d'oppression, de désirs, et d'orgueil, ont transporté à l'état de nature des idées qu'ils avaient prises dans la société. Ils parlaient de l'homme sauvage, et ils peignaient l'homme civil. Il n'est pas même venu dans l'esprit de la plupart des nôtres de douter que l'état de nature eût existé, tandis qu'il est évident, par la lecture des Livres Sacrés, que le premier homme, ayant reçu immédiatement de Dieu des lumières et des préceptes, n'était point lui-même dans cet état, et qu'en ajoutant aux écrits de Moïse la foi que leur doit tout philosophe chrétien, il faut nier que, même avant le déluge, les hommes se soient jamais trouvés dans le pur état de nature, à moins qu'ils n'y soient retombés par quelque événement extraordinaire. Paradoxe fort embarrassant à défendre, et tout à fait impossible à prouver.

 


Explication

 

 

 

Explication de texte n°1

 

 

 

Le texte est extrait de l’introduction. du 2nd Discours, Rousseau vient de  distinguer l’inégalité naturelle et l’inégalité sociale.  Il rejette une manière abusive de justifier l’inégalité sociale qui consiste à soutenir qu’elle n’est que le prolongement des inégalités naturelles.  (Les inégalités naturelles concernent les individus, les inégalités sociales concernent des classes. On ne peut pas établir de comparaison ou de lien).   De plus le véritable problème consiste à déterminer ce qui est vraiment naturel et social chez l’homme ce qui est compliqué :

 

Une inégalité qui semble naturelle ( force/ faiblesse) peut très bien être le simple résultat d’une inégalité sociale (l’enfant s’est mal développé parce qu’il est mal nourri). La question de l’origine de l’inégalité demande une analyse beaucoup plus poussée et exige que l’on détermine véritablement la condition naturelle de l’homme, qu’on retrouve le véritable état de nature.

 

 

Le thème de ce  passage concerne donc l’état de nature ; l’auteur une critique des interprétations proposés par les philosophes de son époque.  Par contraste on pourra donc découvrir ce que Rousseau entend par l’état de nature.

 

 

Thèse :  Les philosophes commettent une double erreur :  ils  transposent dans l’état de nature les caractéristiques de la vie sociale.  De plus, ils prennent l’état de nature pour la description d’une situation historique alors qu’il ne s’agit que d’une hypothèse.

 

 

 

Problème :  Soutenir que l’état de nature n’est qu’une hypothèse,  n’est ce pas affaiblir  la base même sur laquelle Rousseau va appuyer toute sa théorie  de l’inégalité sociale?

 

 

 

Plan : 

 

1 – Les interprétations erronées de l’Etat de nature §5

 

2- Le statut de l’Etat de nature §6

 

 

 

1 – Les interprétations erronées de l’Etat de nature §5

 

 

 

 

 

1ère Critique – L 1à L18

 

Trois philosophes sont cités implicitement :

 

 

 

Grotius, Pufendorf, Hobbes. Ils introduisent dans l’etat de nature des notions qui ne peuvent s’y trouver. La notion de justice, de droit, de propriété relèvent de la vie sociale et non de l’état de nature. De plus, ils décrivent tous  l’homme avec des passions qui n’ont pu se développer qu’avec la vie sociale.

 

 

 

- On peut se demander pourquoi les auteur commettent une telle  erreur ? Sont-ils idiot à ce point ?

 

 

 

C’est tout simplement que Rousseau ne prend pas le terme d’état de nature dans le même sens qu’eux :

 

 

 

 

 

Philosophes

Rousseau

Etat de nature

Etat de nature

Société sans Etat

Les hommes forment des sociétés mais n’ont pas encore un pouvoir commun qui les dirige.

(justice morale ? droit naturel ? propriété?)

 

Absence de société : les hommes vivent isolés et dispersés

Aucune justice même morale, aucun droits, aucune propriété.

Etat de nature – Etat

Etat de nature – Société - Etat

 

 

 

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Grotius : il introduit la notion de justice  ds l’Etat de nature.  Cela semble absurde : En effet dans le sens politique la justice  c’est le respect de la loi.  Or dans l’Etat de nature, il n’y a pas de lois donc pas de justice. Grotius considère le mot justice dans son sens moral, c’est le respect de la personne. Même dans l’état de nature, les hommes possèdent le sens de la justice.  ( Ne pas s’en prendre au plus faible, sauvegarder la vie des innocents).

 

Contrairement à cet idée, Rousseau défend plutôt que l’homme dans l’état de nature est amoral. Il connaît ni le bien ni le mal, il ne connaît ni la justice ni l’injustice.  (le seul sentiment moral, c’est la pitié).

 

 

 

 

 

-Pufendorf. Cet auteur suppose qu’il existe un droit antérieur aux droits fixés par les Etats, ce qu’il appelle le droit naturel. Ce droit appartient à tout homme (droit de vivre ; de ne pas être inquiété )   Le droit naturel ancêtre des Droits de l’homme.

 

 

 

La critique de Rousseau est assez rapide : il ne s’attaque pas sur le fond mais seulement sur une question de mots : on ne peut pas parler de propriété dans l’Etat de nature. Donc on ne peut pas non plus dire que les hommes possèdent un droit. Ils ne possèdent rien.

 

 

 

Enfin il critique Hobbes qu’il accuse de despostisme. Sous prétexte qu’il existe des faibles et des forts, il en conclurait à du droit du plus fort à commander.

 

 

 

La critique générale, c’est d’attribuer aux hommes des passions qu’il ne connaît pas.

 

En exposant les fausses conceptions de l’Etat de nature, Rousseau dévoile implicitement sa propre conception.

 

 

 

- >Rousseau entend par Etat de nature, le degré zero de société. L’homme à l’état de nature vit en solitaire, de manière dispersé. Il n’a pas de sens moral ni de passions qui naissent avec la vie sociale. Il vit en toute indépendance qu’on appelle la liberté naturelle.

 

 

 

 

 

2nd critique L18 à L30

 

 

 

Aucun de ces penseurs ne pense à douter de l’existence de l’Etat de nature alors qu’il est contraire au aux dogmes de la religion. (Dieu donne à l’Homme dès sa naissance, les arts, le langage).  Ils manquent donc de sens critique par rapport à leurs propres idées.  Ils considèrent cet état de nature comme une situation ayant réellement existé et pouvant encore exister .

 

Rousseau s’attache à mettre en avant au contraire le statut hypothétique de l’Etat de nature.

 

 

 

(On peut plus facilement imaginer des hommes vivant dans une société sans Etat que vivant dans un état d’isolement.)

 

 

 

 

 

2- Le statut de l’Etat de nature §6

 

 

 

R. développe trois idées

 

 

 

A L’Etat de nature  est une hypothèse  (L1 à L8)

 

 

 

 il n’a peut être jamais existé.  Par csq l’essai n’est pas un récit historique.  Rousseau ne se fonde pas sur les faits.  Il l’indique clairement : Ecartons tous les faits. Rousseau part d’un raisonnement sur la nature de l’homme non d’une description historique. (La description est trompeuse surtout lorsqu’il s’agit de l’homme qui ne cesse d’évoluer)

 

 

 

Quand on lit le texte, on à l’expression qu’il retrace une histoire.  Ce n’est pas une histoire, c’est une reconstruction produite par le raisonnement.  Que cette reconstruction semble correspondre à l’histoire réelle montre simplement qu’elle est plausible.  Elle n’est pas ouvertement contraire aux faits.

 

 

 

Rousseau compare sa démarche à celle des hommes de science qui mettent au point des théories et des modèles pour mieux comprendre la réalité. Rousseau se fonde sur un raisonnement non sur l’observation. Ce qu’il veut découvrir, c’est l’homme originel. L’essence de l’Homme. Rousseau n’est pas très loin de Platon.

 

 

 

Rousseau se centre sur la nature de l’homme pour en déduire son histoire ; Comment passer de

 

la nature à l’histoire ? Statique -> dynamique. En l’homme il y a un facteur spécifique : la perfectibilité. Ce qui fait que l’histoire ou le devenir sont en quelque sorte inscrits dans la nature de l’homme.

 

 

 

B L’Etat de nature ne remet pas cause la religion  (L 9 à 23)

 

 

 

Puisqu’il s’agit que d’une hypothèse fondé sur le raisonnement, il ne peut remettre en cause des dogmes fondées sur la foi.

 

 

 

Ironie : ils sont inégaux parce que Dieu voulu qu’il le fusse.

 

 

 

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 L’hypothèse de l’Etat de nature est utile à la religion : Afin de ne pas rendre Dieu responsable des  injustice et du malheur,  il faut supposer que Dieu ait placé les hommes dans une situation où il n’existait pas encore d’injustice sans quoi il serait lui-même le responsable de ces injustices. Si l’on ne veut pas aboutir à cette idée, il faut admettre un étape intermédiaire entre la création de l’Homme et la vie en société.  L’état de nature, c’est l’équivalent laîc du paradis.

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L’universalité du discours   (L17 à L23)

 

Ton grandiloquent. Puisqu’il ne s’agit pas d’un récit historique mais bien d’un raisonnement sur l’essence de l’homme. Le discours l’homme dans son universalité et non dans ses particularités historiques et régionales.  La référence à Platon devient explicite. Il ne fait que suivre les traces de ces maîtres/  Le maître qui guide le raisonnement , c’est Platon et son disciple Xénocrate.   Il faut retrouver l’essence de l’Homme.

 

Conclusion

 

 

Ce texte permet de comprendre la conception de l’Etat de nature. Il s’agit de cerner l’essence de l ‘homme antérieurement à toute vie sociale.  Un tel état de nature ne peut se découvrir que par le raisonnement même si les faits peuvent venir le confirmer.  Le discours n’est pas fragilisé puisqu’il se fonde en définitive sur le raisonnement plutôt que sur un récit historique que l’on peut toujours démentir par la découverte de faits nouveaux ou inconnus.