Extrait de l'œuvre :

 

 

 

Accoutumés dès l'enfance aux intempéries de l'air, et à la rigueur des saisons, exercés à la fatigue, et forcés de défendre nus et sans armes leur vie et leur proie contre les autres bêtes féroces, ou de leur échapper à la course, les hommes se forment un tempérament robuste et presque inaltérable. Les enfants, apportant au monde l'excellente constitution de leurs pères, et la fortifiant par les mêmes exercices qui l'ont produite, acquièrent ainsi toute la vigueur dont l'espèce humaine est capable. La nature en use précisément avec eux comme la loi de Sparte avec les enfants des citoyens; elle rend forts et robustes ceux qui sont bien constitués et fait périr tous les autres; différente en cela de nos sociétés, où l'Etat, en rendant les enfants onéreux aux pères, les tue indistinctement avant leur naissance.

 

 

Le corps de l'homme sauvage étant le seul instrument qu'il connaisse, il l'emploie à divers usages, dont, par le défaut d'exercice, les nôtres sont incapables, et c'est notre industrie qui nous ôte la force et l'agilité que la nécessité l'oblige d'acquérir. S'il avait eu une hache, son poignet romprait-il de si fortes branches? S'il avait eu une fronde, lancerait-il de la main une pierre avec tant de raideur? S'il avait eu une échelle, grimperait-il si légèrement sur un arbre? S'il avait eu un cheval, serait-il si vite à la course? Laissez à l'homme civilisé le temps de rassembler toutes ses machines autour de lui, on ne peut douter qu'il ne surmonte facilement l'homme sauvage; mais si vous voulez voir un combat plus inégal encore, mettez-les nus et désarmés vis-à-vis l'un de l'autre, et vous reconnaîtrez bientôt quel est l'avantage d'avoir sans cesse toutes ses forces à sa disposition, d'être toujours prêt à tout événement, et de se porter, pour ainsi dire, toujours tout entier avec soi .

 

 

 

Lire attentivement le texte.

Répondre aux questions: Quelle le description Rousseau fait il de l'Homme vivant dans l'état de nature ?  Est il plus indépendant que l'Homme vivant en société ?

 

 

Explication

 

 

 

Ce texte est extrait de la première partie du discours, Rousseau  expose la vie de l’homme à l’état de nature. L’auteur établit d’abord le portrait physique de l’homme vivant dans cette situation (des §1 à §13) avant d’aborder ses qualités morales  (§14 à §22). Rousseau prend l’homme tel qu’on le voit aujourd’hui – bipède - mais en faisant abstraction des facultés développées par la vie sociale (le langage articulé par exemple) et les facultés  « surnaturelles »[1] que lui accorde la religion. Cela lui évite d’entrer dans le débat entre les créationnistes[2] et les partisans de l’évolution des espèces.

 

 

 

Le thème du texte s’attache aux facultés physique du corps : celles de l’homme naturel sont parfaitement adaptées au milieu dans lequel il évolue ce qui lui permet d’être indépendant. Il n’a pas besoin du secours des autres pour satisfaire  ses besoins contrairement à l’homme civilisé qui doit compter sur les autres plus que sur lui-même. Ces facultés lui donnent également une certaine indépendance  vis-à-vis de la nature.

 

 

 

Thèse :   Le développement de la société et en particulier des techniques a pour conséquence d’affaiblir l’homme et de le faire entrer dans un état de dépendance. En revanche l’homme à l’état de nature est  indépendant.

 

 

 

Antithèse. On croit souvent que l’homme est plus faible que les autres êtres vivants, ce qui serait la raison pour laquelle il aurait besoin du secours de ses semblables ; La société résulterait alors de la faiblesse de l’homme.  ( C’est la thèse que soutient David Hume par exemple[3]).   Rousseau critique cette explication car  on projette  selon lui l’image de l’homme civil  sur l’homme naturel. C’est parce que l’homme n’utilise plus ses forces physiques qu’il les perd.

 

 

 

Problème :  Pourquoi si l’homme vivait si bien dans sa condition naturelle est- il sorti ? Pourquoi a t-il crée des outils et des techniques ?  Est-ce que Rousseau n’a pas une vision idéalisée de la situation de l’Homme dans l’état de nature ? 

 

 

Plan  de l’extrait

 

1   L’indépendance de l’homme à l’état de nature

 

            2  L’affaiblissement du corps 

 

             3    Comparaison de l’homme naturel et de l’homme civil

 

 

Explication détaillée :

 

 

 

 

 

1) L’indépendance de l’homme à l’état de nature

 

 

 

Dans cette première partie du discours, Rousseau cherche à faire ressortir le contraste entre l’homme civil (qui vit en société)et l’homme à l’état de nature. Cette comparaison s’effectue à l’avantage de l’homme naturel.  On pourrait croire que la vie de l’homme naturel est difficile, pénible puisqu’il ne possède pas les outils et les  avantages de la vie sociale.  Or, il n’en est rien.  C’est l’homme civil avec tout son confort, ses outils, sa médecine qui est le plus malheureux car ce qui lui fait défaut, c’est le plein usage de ses facultés physiques.   Rousseau critique donc implicitement l’idée de progrès si important à son époque.

 

 

 

Rousseau examine trois idées dans la première partie du texte  : l’adaptation, la question de l’hérédité, la sélection naturelle. Ces idées sont inspirées par Buffon.   (1707-1788), naturaliste et écrivain français, auteur d’un des premiers essais généraux de biologie et de géologie à ne pas être fondé sur la Bible.

 

 

 

A ) L’idée d’adaptation :

 

 

 

Ce qui est essentiel dans ce premier § ; c’est que les forces de l’homme sont proportionnées à ses besoins ; ce qui n’est pas le cas pour l’homme civil. Les besoins de l’homme naturel sont  simples (§3) et les ressources de la nature abondantes.  Ses forces physiques lui permettent de vivre sans difficultés.  On peut anticiper et dire que cet équilibre est rompu chez l’homme civil (dont les  besoins sont disproportionnées par rapport à ses forces). L’homme naturel est auto suffisant ce qui n’est pas le cas pour l’homme civil.

 

 

 

La vie de l’homme naturel est  « rude » mais il supporte très bien cette rigueur  par l’habitude dès sa naissance . Ce que l’auteur fait apparaître, c’est la notion d’adaptation. Ayant été confronté aux intempéries et au froid dès sa naissance, l’homme naturel s’y est adapté.   Ainsi bien qu’il soit nu, il  ne craint pas le froid. (intempéries, rigueur des saisons). 

 

L’auteur soutient que le  mode de vie et les habitudes acquises transforme notre physiologie.  Notre physiologie s’adapte.  Les  conditions de vie peuvent rendent robuste et fort mais il suffit qu’elles changent pour rendre fébrile, faible, craintif.  Adaptation = idée issue de la biologie : c’est la fonction qui crée l’organe. Lorsqu’on utilise pas un organe, il s’atrophie. Au contraire l’usage de cet organe le développe.

 

 

 

 

 

La question de la nudité est intéressante :

 

Cela montre qu’il n’a encore aucune notion touchant la pudeur, le regard des autres. Au contraire dès que l’homme est social, il cache une partie de son corps jugée honteuse.  Le corps, c’est ce qu’il faut cacher ou recouvrir quand on vit  dans la société. C’est quand on commence à habiller son corps que peut s’introduire une distance entre l’apparence et la réalité. Ce n’est pas le cas pour l’homme naturel. Il n’a aucune attention pour son apparence puisqu’il n’est pas soumis au regard des autres.

 

 

 

 

 

 

 

B) L’hérédité 

 

 

 

Rousseau accepte l’idée que les caractères acquis d’une génération peuvent se transmettent par l’hérédité aux autres générations. C’est la thèse du développée par Buffon. (Histoire naturelle 1749) . Buffon étudie les plantes.

 

L’homme peut opérer une sélection des graines et faire des croisements. Au fil du temps on peut créer une espère qui résiste mieux aux intempéries. Rousseau transpose cette idée à l’homme :  C’est la nature qui opère la sélection.  Ainsi la robustesse se transmet-elle de génération en génération et l’homme atteint la plus grande perfection physique dont il est capable. 

 

 

 

 

 

C) La sélection naturelle

 

 

 

Rousseau évoque la sélection naturelle. Les plus faibles disparaissent ; On pourrait penser qu’il s’agit d’une injustice. Pourtant de manière paradoxale, Rousseau ne considère pas cette sélection naturelle comme une injustice. Elle résulte du hasard.  Chacun à se chance au départ contrairement aux lois sociales qui frappent toujours les mêmes catégories sociales.

 

 

 

 2 / L’affaiblissement du corps :

 

 

 

A) Rôle négatif de l’outil

 

 

 

Les techniques = ensemble des outils que l’homme utilise.

 

L’outil facilite la vie, il permet d’économiser les efforts, et de rendre la vie plus facile. Mais cette facilité peut se retourner contre l’homme lui-même. Elles peuvent rendre paresseux, dépendant, faible.

 

   Aspect paradoxal : l’outils augmente la force mais en même temps il affaiblit.

 

à Critique des Progrès (Diderot - L’encyclopédie – Le développement des techniques = un progrès pour l’homme).

 

Plus les techniques progressent et plus la vie de l’homme s’améliore.

 

Ici Rousseau présente l’aspect négatif de ce progrès : l’homme est dépendant des outils qu’il utilise. Il ne peut plus rien faire tout seul.  Pour satisfaire le moindre de ses besoins, il lui faut une multitude d’objet, d’outils. Le rapport de la nature n’est plus direct, immédiat. Il passe par cet intermédiaire de l’outil.

 

 

 

 

 

B)  Serie d’exemples pour illustrer cette idée :

 

(Hache, échelle, cheval).

 

 

 

On voit déjà apparaître le thème de la perfectibilité :

 

 

 

Le défaut d’usage fait disparaître la capacité. 1ère apparition de la notion de perfectibilité. (au niveau des forces du corps).

 

 

 

Voir en Annexe , un texte de Rousseau sur l’éducation.

 

 

 

 

 

3) Comparaison entre l’homme naturel et l’homme civil

 

 

 

Rousseau conclut son passage avec une comparaison entre l’homme naturel et l’homme civil.

 

L’homme naturel dont l’exercice du corps est la principale activité, l’emporte physiquement sur l’homme qui vit en société et qui a besoin constamment de tous ses outils pour vivre. Il se « porte entièrement avec lui-même ».

 

On comprend bien que l’homme civil est certes plus avancé sur le plan intellectuel, qu’il a des outils plus perfectionnés et des relations sociales plus complexes. Mais il faut remarquer que  tous ces progrès cependant ne lui appartiennent pas totalement, ce sont des progrès qui dépendent du groupe et non de l’individu.

 

D’autre part, ces progrès vont de pair avec des régressions sur le plan physique. Rousseau reste donc très prudent sur la notion de progrès contrairement aux penseurs de son époque.

 



[1] « Surnaturelles » c’est-à-dire qui ne sont pas physique mais plus spirituelles comme la conscience par exemple. L’Homme est fait à l’image de Dieu selon la religion chrétienne.

[2] Ce débat est encore présents entre les créationistes (l’homme a été crée par Dieu tel qu’on le voit aujourd’hui) et les partisans de l’évolution des espèces qui, s’appuyant sur les théories de Darwin, soutiennent que l’homme a évolué à partir de l’animal. On remarquera au passage l’erreur que fait Rousseau dans son texte concernant Aristote lorsqu’il lui attribue la thèse de l’évolutionnisme. « Je n’examinerai pas si, comme le pense Aristote, ses ongles allongés furent d’abord des griffes crochues  (…) » . En réalité, Aristote est fixiste, il n’admet pas l’évolution des espèces.

[3] «  Il semble, à première vue, que de tous les animaux qui peuplent le globe terrestre, il n'y en ait pas un à l'égard duquel la nature ait usé de plus de cruauté qu'envers l'homme : elle l'a accablé de besoins et de nécessités innombrables et l'a doté de moyens insuffisants pour y subvenir. ( …)


Ce n'est que par la société qu'il est capable de suppléer à ses déficiences et de s'élever à une égalité avec les autres créatures, voire d'acquérir une supériorité sur elles. Par la société, toutes ses infirmités sont compensées et, bien qu'en un tel état ses besoins se multiplient sans cesse, néanmoins ses capacités s'accroissent toujours plus et le laissent, à tous points de vue, plus satisfait et plus heureux qu'il ne pourrait jamais le devenir dans sa condition sauvage et solitaire. »  HUME